L’esclavage invisible : prostitution et exploitation sexuelle en France

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Ils sont bénévoles et tentent de faire exister les victimes collatérales d’un réseau d’esclavage moderne. Rencontre avec des chrétiens qui refusent de fermer les yeux.

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ourtant aboli depuis 1848, l’esclavage n’a pas disparu. Plus discret, il réduit ses victimes au silence. Mais, à ceux qui savent où regarder, cette réalité devient saisissante. Elle sévit tous les jours, sous nos fenêtres.

Entretien avec Daniel Mattioli, pasteur et vice président de l’association « Hope & Joy ».

Un parcours de vie tortueux

Vous les avez déjà vues. Elles sont jeunes (parfois mineures), d’origine étrangère et vendent leur corps sur les grandes avenues des métropoles. De loin, c’est leur quasi-nudité qui saute aux yeux. Il faut oser s’approcher pour saisir la réalité de leur humanité, et la tristesse d’un regard qui en dit long. Trompées, transportées, piégées et utilisées : histoire d’un parcours de vie que l’on n’entend qu’une fois.

Dupées par la promesse d’un contrat de travail, l’amour ou l’espérance d’une vie meilleure ailleurs, elles quittent leur pays natal pour l’Europe. Dans un pays étranger dont elles ne maîtrisent pas la langue et dont elles ne possèdent pas la nationalité, elles n’ont pas d’autre choix que de s’en remettre entièrement à leurs passeurs.

Cette vulnérabilité constitue le terreau de réseaux mafieux malveillants. Un processus de déshumanisation progressive permettra de créer de véritables « esclaves du sexe ». Brisées moralement par des menaces quotidiennes de représailles envers leurs familles, mais aussi physiquement par des viols collectifs et violences à répétition, les jeunes femmes perdent, peu à peu, tout sentiment de dignité ou de liberté.

Daniel Mattioli, vice-président de l’association « Hope and Joy », évoque une véritable démarche de « dressage ».

Le business de la peur

esclavageSelon Siddarth Karta, expert dans le domaine de la recherche sur le trafic humain, la prostitution mondiale générerait un chiffre d’affaire annuel compris entre 5,4 et 7,6 milliards d’euros. Le business du sexe est extrêmement fructueux car, « contrairement à la drogue ou à une arme, une fille peut se vendre plusieurs fois ».

La matière première de ce commerce, c’est la peur. Plus précisément, c’est l’effet de la peur sur des jeunes femmes déracinées, une peur qui paralyse les esprits. Cette crainte, c’est celle des membres du réseau avant tout, mais aussi la peur engendrée par l’activité de prostitution elle-même.

« Quand, contraintes à une dizaine de passes (rapports sexuels) par jour, une jeune fille se voit isolée en pleine campagne avec un client violent, cela amène inévitablement des peurs et des traumatismes », explique D. Mattioli. Ainsi, à Montpellier, près de 95% des personnes en situation de prostitution se vendent sous la contrainte.

L’impuissance des mécanismes traditionnels de protection

La situation paraît presque irréaliste. Comment expliquer que des jeunes femmes, parfois mineures, puissent être contraintes de vendre leur corps dans le pays des Droits de l’Homme ? Pourquoi ce crime reste-il impuni ? Comment lutter contre cette « honte à ciel ouvert » que dénonce avec ferveur D. Mattioli ?

« L’action de la police offre une certaine présence rassurante ; cependant, la prostitution n’étant pas prohibée en France, leur moyen de protection reste limité », explique-t-il. Il existe bien des centres d’hébergement et des mécanismes juridiques destinés à protéger les victimes de trafic humain. Encore faudrait-il que les victimes osent témoigner, a fortiori dénoncer leurs bourreaux, et que la vérité de leurs propos soit reconnue. Ainsi, les proxénètes ne sont que très rarement condamnés par la justice, faute de preuve : c’est l’histoire d’un crime qui ne laisse pas de trace.

De plus, la plupart de ces jeunes femmes se trouvent en situation irrégulière, condamnées à vivre dans l’ombre et la peur de ceux qui devraient pouvoir les protéger. L’image du policier reste associée à celle de l’homme, c’est-à-dire du client ou du proxénète : comment pourraient-elles lui faire confiance ? Dressées à réciter le mensonge d’une vie qu’elles n’ont pas vécue, elles n’obtiennent que très rarement le droit d’asile auquel elles pourraient légitimement prétendre.

« Nous cherchons à leur amener de la joie et de l’espoir dans leur univers innommable »

fleur 1« L’une des premières filles rencontrées avait pour pseudonyme le nom de Joy. Chemin faisant avec elle, très tôt, nous avons vu l’espoir apparaître dans ses yeux et dans les nôtres : le nom de l’association était trouvé », explique D. Mattioli. « Nous cherchons à leur amener de la joie et de l’espoir dans leur univers innommable. » Là où la violence, déclinée sous toutes ses formes, a voulu créer des objets, « Hope and Joy » s’attache à faire renaître des femmes, des êtres humains à part entière : des enfants de Dieu, aimés en tant que tels.

« Hope and Joy » s’attache à faire renaître des femmes, des êtres humains à part entière : des enfants de Dieu, aimés en tant que tels.

Présents sur les grands boulevards de la métropole à la nuit tombée, sur les routes de campagne la journée, ils cherchent à arracher des adolescentes au quotidien cruel dans lequel elles évoluent, du moins pour quelques minutes. Les hommes bénévoles se sont attachés à détruire puis reconstruire leur représentation du masculin : « Ils peuvent leur dire qu’ils les aiment d’un amour sans ambiguïté », affirme D.Mattioli. Par un travail progressif et régulier, les bénévoles de l’association « Hope and Joy » ont pu transformer la peur en confiance.

Ayant réalisé la vérité de l’amour de Dieu pour elles grâce à la distribution de bibles et à un accompagnement par la prière, certaines d’entre elles viennent désormais à l’église de manière régulière.

« Prendre la mesure des sévices, voir ces visages encore enfantins qui crient à l’aide, ne pas pouvoir les sortir de leur enfer, tout cela pèse beaucoup », avoue D.Mattioli. Pourtant, il confie apprendre beaucoup, notamment de leur extraordinaire force de vie en dépit de leur parcours chaotique : « Quand une jeune fille esclave, abusée et arrachée à sa famille chante un Gospel a capella dans la rue, quand une autre encore, au lieu de prier pour ses maux prie pour moi et ma famille, je reçois énormément. »

L’esclavage n’est pas mort, ses victimes sont bien réelles. Une poignée de Montpelliérains tente de les faire exister en tant qu’êtres humains. Le chemin est encore long pour venir à bout d’un crime qui, pourtant exposé aux yeux de tous, reste invisible. En attendant de pouvoir sanctionner les marionnettistes de cet esclavage à grande échelle, seul un changement de regard sur la prostitution permettra de chasser la honte de celles qui l’exercent, chaque jour, malgré elles.

Lise Hurpy

Contact : [email protected]


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